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L'introspection gestuée

« Le rêve est une seconde vie. Je n’ai pu percer sans frémir ces portes d’ivoire ou de corne qui nous séparent du monde invisible »[1]. Gérard de NERVAL.

 

Comme premier cadre, pour situer notre recherche, et poser une première définition, « l’introspection gestuée », doit permettre à chacun de dire mentalement, de préparer dans l’usage du mot, de la voix, du regard, de la posture et sa gestualité, et de son positionnement, le ou les micro-gestes à produire. En quelque sorte, repérer la présence d’un déjà là, rencontré en esprit, qui malgré cette absence matérielle doit permettre d’effectuer en différé, le micro-geste à produire dans l’instant de l’animation.

Nous ne situons pas l’introspection dans sa dimension morale, qui s’efforce de différencier ce qui relève de l’instinct de ce qui relève de l’intentionnalité, ce que Thomas D’Aquin nomme la conscience éclairée. Cela était une première révolution dans cette quête de la liberté de pensée, reconnue et donnée à l’homme en ces temps où l’Eglise voulait garder une emprise de jugement sur la conscience individuelle. Nous entendons le terme tel qu’Alfred Binet le conçoit dans sa dimension de « geste mental », « Cette orientation de la pensée »[2] comme il l’évoque dans son ouvrage en 1903 L’étude expérimentale de l’intelligence. Une orientation de soi sur soi, du sujet sur lui-même. Il est le premier à se servir de l’introspection en étudiant le comportement de ses filles ; il les interroge sur ce qu’elles perçoivent, sur ce qu’elles font. L’introspection gestuée peut donc être considérée, comme étant le lien qui permet aux professionnels des métiers de l’enseignement, de passer du micro-geste pensé au micro-geste produit. L’enseignant comme l’artiste se trouve comme projeté hors de lui-même, dans le ‘je’u du geste musical ou du geste professionnel. Dans le temps de la production, où l’un et l’autre doivent impérativement se projeter dans l’instant tout en restant conscient grâce au temps plus ‘introjectif’, ce temps du retour sur soi-même, au plus profond du Moi. Ce double ‘je’u de va-et-vient correspond pour nous au temps de l’introspection, lieu premier de la représentation mentale, la conscience des choses.

S’il fut un temps où cette distanciation était périlleuse dans la mémoire des faits, nous avons aujourd’hui des outils qui permettent de faire trace des actes produits. L’usage de la trace vidéo devient un témoin fiable, suffisamment souple, il permet de revenir à volonté sur les gestes produits.

L’introspection pose une question, une contrainte qui reste indissociable de l’introspection : celle du temps, cet espace temporel qui sépare le geste pensé ou repensé et le geste produit. Pour François Tochon dans le cadre de la didactique, de Diachronie et Synchronie, la Diachronie correspond au temps de la préparation didactique, il s’inscrit dans la durée ; celui de la Synchronie coïncide au temps l’interaction pédagogique, qui lui se déroule dans l’instant de l’action. La Synchronie, ou temps de la présence, se situerait entre le temps de la préaction et celui de postaction.[3] L’improvisation en cours d’action permet-elle l’analyse dans l’instant de la mise en scène d’une situation d’apprentissage ? Comme le souligne encore François Tochon : « Comme il se peut que les choses changent en cours de route, ce mouvement d’anticipation va devoir s’adapter au fur et à mesure que ce futur anticipé s’approche du présent immédiat »[4]. Toute la difficulté se trouve résumée dans cette perception d’un temps qui avancerait dans un « double tempo ». Le temps de la réalité objective du déroulement du temps vécu, celui que l’on ne peut arrêter et celui du rêve, le même qu’explore la dramaturgie de l’opéra ou du cinéma. Ce temps suspendu que les cinéastes nomment le temps diégétique, celui qui permet d’arrêter l’action, de s’interrompre un moment, ce temps dilaté, qui permet aux acteurs de commenter l’action par et dans leurs états d’âmes. Malheureusement il n’est en rien comparable au temps de l’exercice du métier ce temps Synchronique, qui lui est tributaire du temps de l’horloge, que ce soit celui du musicien ou de l’enseignant ce temps ne peut s’interrompre.

 

Son enjeu en formation des enseignants :

 

Il serait pourtant intéressant en formation de pouvoir s’arrêter dans l’instant de l’action, de pouvoir identifier les savoir-faire, revisiter les micro-gestes opérants suffisamment significatifs. Il est vrai que ce projet d’espérer se revoir soi-même dans l’instant d’une séance d’enseignement est loin d’être simple. Heureusement en formation, la vidéo est un outil qui peut faire trace de ce temps, comme le suspendre à postériori pour y revenir, l’analyser. Toutes les recherches de François Tochon nous l’ont démontré, nous verrons que le jeu de situation peut aussi en être un autre. Deux espaces de formation qui nous permettent d’arrêter le temps, le passer au crible d’une analyse critique. Ce temps où le cinéaste peut revenir en arrière, ce temps à l’opéra où la cantatrice dans son air va s’épancher : un temps qui n’a rien à voir avec le temps du récitatif, qui décrit l’action qui se déroule dans le temps présent sous l’œil du spectateur. Ces deux dimensions du temps, synchronique et diachronique, peuvent correspondre à la distinction que l’on peut faire entre les gestes du métier inscrits dans l’action et les gestes professionnels, pré-pensés en amont de toute construction de séance ou de séquences d’enseignement inscrits dans le temps synchronique. Le premier, étant très pragmatique, ne peut reculer, il est fixé comme collé à la trame du temps ; quant à l’autre dimension, ce temps rêvé par l’enseignant, celui du cours parfait, idéal, que tout enseignant cherche à construire, il est beaucoup plus délicat à circonscrire. N’est-il pas qu’illusion, une « Divine comédie » ? A trop chercher à entrevoir la porte d’ivoire, ne sommes-nous pas en train de rentrer dans un songe faux ?

 

 
Son enjeu Anthropologique

 

Sommes-nous toujours en mesure de nous inspirer de la sagesse des grands mythes fondateurs de notre histoire, d’Enée[5] à celui du Don Giovanni[6] qui tous deux finissent par sortir par la porte d’ivoire et tomber dans le piège des errements et de l’illusion ? C’est pourtant un vieux rêve que d’arriver à faire traverser le héros par la porte de corne, la fameuse porte des songes, ou corne d’abondance… Mais devant la réalité d’un métier, laquelle choisir, que va-t-on trouver derrière chacune d’elle ? La frontière est délicate, de nombreux artistes qu’ils soient musiciens ou peintres et même cinéastes ont eux aussi cherché, rares sont ceux qui ont pu en faire un chef-d’œuvre. La belle et la bête de Jean Cocteau, ou encore comme nous le montrait l’exposition au musée du Luxembourg à Paris fin 2013 début 2014, certains peintres de la Renaissance qui ont tenté de traduire l’onirique. Le jardin des délices de Bosch Le songe du docteur de Dürer ou Le songe de Raphaël[7].

 

[1] NERVAL, Gérard, (de), (1855). Aurelia, Paris : Libretti livre de poches, p. 3.

[2] BINET, Alfred, (1903). L’étude expérimentale de l’intelligence, Schleider, p. 57.

[3] TOCHON, François-Victor., (1993). Le fonctionnement « improvisationnel » de l’enseignant expert, Revue des sciences de l’éducation, vol. 19, N°3, pp.43-461.

[4] Op. Cit. TOCHON, (1993). p.438.

[5] Enéide, VI, 898.

[6] MOZART, Amadeus, (1787). Don Giovanni, Eulenburg.

[7] La Renaissance et le rêve : Exposition au palais du Luxembourg de 9 octobre 2013 au 24 janvier 2014.