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La situation d’exploration aux conduites créatives

« L’instinct demande à être dressé par la méthode mais l’instinct seul nous aide à découvrir une méthode qui nous soit propre et grâce à laquelle nous pouvons dresser notre instinct »[1]. Jean COCTEAU.

 

-          L’institution : « des voix et des voies nouvelles »

 

Si l’école est bien le lieu de découverte de la pensée convergente, de la pensée logique ou expérimentale, comme nous avons pu le voir dans les situations précédentes, elle doit aussi être le lieu de la rencontre avec la pensée divergente. L’objectif est de permettre aux élèves d’acquérir une expérience artistique et esthétique ; de développer leur sens critique, leur capacité à s’adapter et d’innover. Comme le souligne Jean Piaget en 1969 dans son ouvrage Psychologie et pédagogie : « La manipulation est le moyen privilégié pour l’acquisition de structures de la pensée… Chez les petits, l’intelligence pratique précède l’intelligence réfléchie, et celle-ci consiste, pour une bonne part, en une prise de conscience des résultats de celle-là »[2].

En 1981, dans son essai psychanalytique intitulé le corps de l’œuvre, Didier Anzieu nous décrit les étapes du processus créateur qui pour lui est « une tentative optimiste ou désespérée de réduire l’écart, de rectifier le décalage, de dire ce qui ne peut être communicable »[3]. Les situations qui permettent de réaliser ces objectifs sont complexes dans leur mise en scène. Les différents dispositifs et inductions nécessaires sont délicats à mettre en place si l’on veut favoriser les conduites créatives chez les élèves ou étudiants. Il faut en effet toujours partir d’un système de contraintes, où le sujet doit être capable de créer des associations, des combinaisons nouvelles. Ce processus sera d’autant plus créatif que les éléments de la nouvelle combinaison seront plus éloignés.

Chaque étape du processus créateur est différente dans sa mise en scène. Partant d’une situation où les élèves sont d’abord impliqués individuellement avant de l’être collectivement ; de l’exploration à la mise en forme, de l’individuel aux plus grands groupes pour des réalisations collectives, sont autant de dispositifs qui demandent une grande souplesse des micro-gestes professionnels à mettre en place dans ces situations.

La prolifération des idées, est par exemple, une étape essentielle, mais bien délicate à animer. Ici, les idées, même les plus inhabituelles, étant les bienvenues, il faut animer ces temps d’exploration en stimulant chacun sans qu’il ne dévie trop de la tâche demandée. Comment faire pour que le groupe soit constamment sollicité et ne se disperse pas ? L’enseignant est un stimulateur de l’imaginaire, un agitateur d’idée, l’enjeu politique est de favoriser l’adaptabilité de l’élève.

 

-          L’élève ou l’étudiant : « un créateur ? »

 

Nous retiendrons cinq étapes, cinq passages par où l’élève et l’étudiant devraient passer. Le processus est en spirale :

 

-          L’exploration,

-          Le geste de fabrication,

-          La « nourriture culturelle »,

-          L’organisation,

-          La communicabilité.

 

Chacune de ces étapes est bien différente dans l’animation du groupe et réclame des micro-gestes adaptés.

L’exploration : part toujours d’un « inducteur », le déclencheur d’activité. De lui va dépendre la qualité d’implication du sujet, de sa résistance. Dans un tâtonnement expérimental, l’élève ou l’étudiant découvre le matériau. Tour à tour, il va passer de la déstabilisation ou régression à  l’illumination; du stéréotype qui est un passage obligé avec ses clichés et lieux communs au « saisissement créateur ». L’objectif d’une telle démarche est d’arriver à déclencher un processus de prolifération d’idées. La posture de l’enseignant est un facteur important pour désinhiber, donner confiance aux élèves ou étudiants et stimuler la production d’idées. Dans l’improvisation et la multiplication des idées, du choix des différents gestes de fabrication des traces, les objets d’apprentissages se mettent en place. Grâce à la seule présence de l’enseignant, dans un espace sécurisé, l’élève va produire un son, un geste corporel ou un geste plastique, il apprend à maîtriser et devient créateur. Comme le souligne Michel Fustier, dans son ouvrage Pratique de la créativité : « Il faut libérer l’esprit de l’objet tel qu’il existe, en le maltraitant de toutes les façons »[4].

La nourriture culturelle : doit donner des pistes, on ne peut ignorer l’importance des modèles. La chose artistique, cet « hyper objet culturel » est interdépendant de son environnement ; elle nous interroge sur la notion de standardisation dans la construction d’une identité culturelle.

Dans cette étape, il faut savoir choisir : l’école n’est-elle pas le lieu de rencontre d’une autre culture que celle véhiculée par les médias et la famille ? D’où l’importance des choix faits par l’enseignant. A partir de ses racines culturelles, l’élève doit progressivement devenir acteur de sa propre culture. L’enseignant là encore, dans une posture d’écoute et de médiation, doit faire preuve d’un certain discernement, s’il veut acquérir la confiance de ses étudiants ou élèves.

La construction ou composition : cette étape doit nous interroger sur l’organisation de la matière sonore, corporelle ou plastique. De l’improvisation à la composition, seul ou en groupe, comment être attentif aux différentes rencontres produites ? Comment se laisser surprendre et retrouver des procédés d’écriture, tels que : la succession, la juxtaposition, le tuilage, la superposition ? Repérer les rencontres fécondes, être capable de les reproduire à volonté, stabiliser ses choix, construire avec une intention, être capable de fixer des règles, évaluer le tout géré par l’enseignant et sa capacité à réguler les tensions qui surviendront inévitablement.

La communicabilité : dans cette dernière étape du processus créateur, la production, l’objet est de donner à voir, de donner à entendre la réalisation individuelle ou collective. Chacun doit pouvoir se dépasser pour l’exécution d’une œuvre collective. Il n’y a pas de projet sans production. Il faut en délimiter les enjeux ; mais pour quelle production finale et pour quel public ? Attention à une dérive possible, l’instrumentalisation des élèves. L’enseignant reste le seul garant de l’authenticité des productions, du respect de chacun, autant de compétences professionnelles qui passent par des gestes professionnels précis.

L’objectif de la démarche est d’apprendre à l’étudiant ou à l’élève à se confronter à la résistance de l’objet ; de développer la pensée divergente, son imagination créatrice, sa capacité à faire des choix, son autonomie, mais aussi de lui apprendre à supporter le regard de l’autre, et ainsi, de travailler les aspects psychologiques dans la construction de sa personnalité.

 

-          L’enseignant : « l’enseignant, un inspirateur »

 

L’espace d’enseignement se trouve fortement modifié, il faut impérativement réorganiser l’espace, aménager le travail différemment. Qu’il soit dans un premier temps individuel, avant d’être vécu en groupe. Des étapes sont nécessaires, l’enseignant ne doit pas avoir peur de l’inconnu. Il lui faut savoir gérer l’inattendu, autant de contraintes qui sont bien souvent très éloignées de ses préoccupations. La plus grosse difficulté réside dans le fait que l’enseignant ne peut prévoir d’avance ce qui sera produit. D’où cette nécessité de maîtriser un certain nombre des micro-gestes professionnels, lui permettant de réagir dans l’instant. Il lui faut donc trouver une posture suffisamment stable et confiante pour oser ouvrir ce type d’espace d’apprentissage, être capable de rebondir sur les propositions sans se laisser déstabiliser.

L’animateur ne doit pas être omniprésent et savoir se retirer pour laisser libre cours à l’imagination de ses élèves ou étudiants. Trouver le bon dosage, être stimulant, mais sans jamais se substituer. Venir sécuriser et réconforter lorsque les élèves se trouvent déstabilisés, mais se replier lorsque ces derniers rentrent dans un temps « d’illumination ». Cette expérience artistique, préparée et animée par le professeur, vécue dans une émotion collective, peut à cet instant faire jaillir une étincelle. L’enjeu est qu’elle puisse se diffracter en milliers d’éclats, établir des connections qui s’organiseront en réseaux pour que les élèves développent leur intelligence culturelle, créatrice et artistique

 

[1] COCTEAU, Jean, (1979). Le coq et l’Arlequin, Paris : Stock Musique, p.46.

[2] PIAGET, Jean, (1969). Psychologie et pédagogie, Paris : Denoël, p.237.

[3] ANZIEU, Didier, (1981). Le corps de l’œuvre : essai psychanalytique sur le travail créateur Paris : Gallimard, p.91.

[4] FUSTIER, Michel, (1978). Pratique de la créativité, Paris ESF, p.64.